Visiter le Tadjikistan, c'était forcément traverser le pays par la célèbre M41. Cet axe mythique du pays le traverse d'ouest en est, dans toute sa longueur. Il y a des tas de raisons pour lesquelles nous avons pris cette route. Si à la fin de cet article vous êtes encore dubitatifs, vous trouvez que c'est de la folie, alors il y aura les images et à ce moment-là vous comprendrez pourquoi.


Quiquonque veut donc s'attaquer à la traversée de cette fameuse route doit se préparer. Notre aventure commence donc à Dushanbe, capitale du pays. On a quand même pas poussé à rationaliser notre nourriture par repas et calories ingurgitées, ni lustrer notre bécane comme la horde de cyclos qui avait élu domicile dans la cour de la Green house où nous étions, nous aussi, résident pour une nuit. On s'est contenté de tripler nos volumes d'eau, faire un stock de graines et de podcasts pour la route. Il s'avère quand même qu'on a dû être un peu plus rigoureux quant au petit matin, nous nous sommes aperçus que nous avions crevé sous le porche. Pendant des mois, on a roulé sur des nids de poule géorgiens, sur les routes défoncées d'Ouzbékistan, pour finir par crever à cause d'une vulgaire pointe à l'hôtel ! Pied de nez de la vie... On a donc couru le faire réparer et en acheter un de rechange. On est jamais trop prudent. Dans une petite pensée amusée, on s'est dit que maintenant qu'on était suréquipé, on n'allait évidemment pas crever. À coup sûr, c'est ce qu'il s'est passé. 


Parés, nous avons donc pris la route. À peine à quelques kilomètres, en sortant de la ville, les paysages ont commencé à changer. La route montait progressivement à travers les reliefs, zigzaguant près d'un lac d'un bleu clair en contraste avec les montagnes environnantes recouvertes d'herbes rases dorés. Devant ce tableau de nature enfin retrouvé, l'appel était trop fort. On a tenté de s'en approcher pour s'y baigner. Un groupe de locaux s'était rassemblé près de la rive. Des jeunes hommes hésitaient à se tremper. Des enfants se baignaient des bouteilles d'eau accroché à leur slip en guise de bouées, sous le regard amusé de leur père. Un papa curieux qui nous a très vite invités pour le thé. On voyait venir le traquenard. Sa fille venant de se marier, nous avons vu passer sur la table tous les restes délicieux du mariage. Le thé s'est alors transformé en dîner. L'hospitalité tadjike faisant, il était impensable que nous dormions ailleurs que dans la maison et hors de question de refuser. Nous avons immortalisé cette rencontre et à l'heure des aux revoirs, la mère courage de cette incroyable famille nous a fait promettre de revenir les voir. Elle nous a mimé avec succès la vache égorgée et le festin préparé en l'honneur de notre futur nouveau-né.  



En direction de la ville de Qulob, nous sifflotons encore à la vue de cette belle route de montagne bitumée. Joie de courte durée quand tout à coup la route s'arrête pour laisser place à de la piste. Pendant ces 1200 km parcourus, nous sommes passées par tous les types de routes : de l'agréable revêtement bitumé à son contraire rocailleux, en passant par la poussiéreuse piste ensablée, l'informe chemin jusqu'à la route en tôle ondulée, sans oublier sur la fin, le passage immergé. On a souvent soufflé, mais finalement, on a rapidement oublié, car il suffisait de regarder par la fenêtre et admirer l'incroyable spectacle de la nature, là, sous nos yeux. Au fil de la route les paysages changeants nous pousser à l'arrêt pour immortaliser ces tableaux vivants. C'était au-delà de ce que l'on avait imaginé.Des paysages lunaires de terres battus mutaient en étendues d'herbes folles, qui, elles même, se transformaient en territoire martien.



 Au fil du Panj, des oasis de verdure émergeaient alternativement sur les rives opposées. Vision de paix entre deux pays. Nous avons longé la frontière afghane pendant quelques jours, fascinés d'être à quelques mètres de ce territoire interdit, apercevant une autre culture. Nous n'avons pas manqué de prendre nos jumelles à chaque détail titillant notre curiosité : un Afghan enrubanné, d'autres en habits saourels traditionnels, des travailleurs creusant une route dans la montagne à la pelle, des champs entretenus aux carrés et des maisons de terres sèches qu'on trouvera d'un charme certains mais où on n' aimerait pas y habiter.


Passé Qalaikhum, nous avons gravis les premiers cols, 4200 m d'altitude. La température a changé. On a rallumé le chauffage, ressorti les pulls et les écharpes. La nuit, les degrés tiraient dans le négatif. On apercevait les neiges éternelles en haut des sommets. On a même eu le droit a des flocons furtifs en plein mois d'août. Jeannot a fumé de toutes les couleurs, mais malgré l'effort, n'a pas rechigné à avancer.



Après quelques jours en autonomie sur la route, nous avons pris une pause à la ville de Murgahb. La ville est comparable à celle du désert dans l'épisode 2 de Starwars. Poussiéreuse, elle est sans cesse balayée par le vent.Son marché est composé de conteneurs abandonnés, regroupés et transformés en petite boutique de produits de premières nécessités. La ville ressemble à un jeu de Lego en pièces détachées, déposées pêle-mêle, dans l'étendue désertique. Le record d'altitude est atteint après la ville de Murgahb à 4655 m. Nous nous offrons un festin de roi, comme ci nous avions enduré physiquement le pire alors qu'on a juste serré les fesses.


Fini la frontière afghane, c'est maintenant la frontière chinoise que nous longerons. Loin d'être aussi bien gardée et entretenue, nous avons posé littéralement un pied en territoire chinois, pour la photo, le souvenir et surtout pour la blague. La frontière kirghize n'étant plus très loin, on a encouragé les nombreux cyclos croisés dans la dernière ligne droite. Ensemble, nous avons échangé des anecdotes, impressions et informations. On nous a même raconté qu'un sud-africain serait venu faire la Pamir à vélo en mars, par -40 degrés. Nous profitons de nos derniers moments dans le pays pour engranger le maximum d'images de ces montagnes aux mille couleurs et faire une dernière halte au lac de Karakul.


Au moment, même où l'on a écrit cet article, on venait de finir la traversée de notre treizième pays, le Tadjikistan. La célèbre route de la Pamir achevée, on a eu du mal à croire qu'on soit arrivé jusque-là. Avis partagé par un cycliste français beaucoup trop surexcité, rencontré quelques heures auparavant à la frontière tadjiko-kirghise : " Vous êtes venus de France avec çà ? Vous êtes assurés ? T'es mécano dans la vie ? Mais vous passez les frontières comment ?" On avait envie de lui répondre, comme avec une voiture, en roulant monsieur ! On a bien sur compris qu'il était ébahi que l'on soit là, perdu entre deux montagnes, à une année lumière de la civilisation avec un vieux mais robuste Merco de 84, sans assurance et sans assistance. De toutes manières, qui serait venu nous chercher là ?